Septembre-Octobre 2013

25 octobre 2013. Difficile pédagogie

J'ai passé un assez désagréable moment, mercredi dernier 23 octobre, à l'antenne de France Culture. La quotidienne de l'émission "Du grain à moudre" portait le titre aussi aguicheur que trompeur : "La gratuité d'Internet vaut-elle encore le coup ?". Se fondant sur une étude récente du Boston Consulting Group, la rédaction de l'émission a cru voir, dans l'essor actuel des ventes de musique en ligne, le signe que les internautes sont enfin revenus à la raison, qu'ils acceptent désormais ce qu'auparavant ils s'obstinaient à refuser : payer pour des contenus culturels sur Internet. Peut-être n'aurais-je pas dû exprimer, d'entrée de jeu, à quel point cette interprétation des statistiques me paraît pour le moins fantaisiste ?

Lorsqu'on coupe les pattes d'une puce, qu'on la somme ensuite de sauter, et que l'on constate qu'elle ne saute plus, doit-on noter dans son carnet d'expériences qu'une puce privée de ses pattes devient sourde... ou non pas plutôt : sans pattes, pas de sauts ? Lorsqu'une demande explosive, jusque là bridée par l'absence d'une offre légale en ligne proposée à un prix acceptable (en niveau comme en structure), se met finalement à consommer des contenus payants sur Internet, doit-on en déduire que les internautes se sont brusquement mués de dangereux pirates en enfants de chœur... ou bien que le sursaut provient au contraire de l'offre, qui commence enfin à s'adapter ? La demande précède toujours l'offre, c'est une loi fondamentale de l'économie ; tant que l'offre est absente ou déficiente, la demande, ou bien est frustrée, ou bien fabrique sa propre offre quand la technologie le lui permet : en l'occurrence, elle a massivement téléchargé ! 

La même erreur de lecture du comportement des consommateurs, cette fois en sens inverse, a été commise au début des années 2000, au moment de la montée en puissance des accès à Internet par ADSL. Tiens, comme c'est étrange, les consommateurs de biens culturels sont pris d'une subite folie piratomaniaque : ils volent désormais sans vergogne sur les réseaux P2P les disques qu'ils achetaient précédemment bien sagement dans des magasins physiques ! Pour les curer de leur folie, il est urgent d'introduire les DRM et de dresser le dispositif répressif d'HADOPI. Au lieu d'adapter la production et l'édition phonographiques à la nouvelle donne numérique, au lieu de reconnaître l'inéluctable transition d'une économie de la consommation au volume vers une économie de l'accès à une bibliothèque de contenus, forçons les consommateurs à continuer de vivre avec nous à l'ère pré-numérique, afin de préserver notre modèle d'affaire, basé sur le sacro-saint paiement à l'acte. De la part des majors du disque, voilà un vrai raisonnement de dinosaures, après la chute sur terre de la météorite numérique ! Avec les conséquences que l'on sait : une chute drastique de la vente des CD, dans un premier temps non compensée par la progression des ventes en ligne, principalement en raison du caractère inadapté et dissuasif de ces ventes.

Face au bouleversement de l'écosystème culturel, la voie de l'évolution était pourtant simple ; la solution s'appelle la "licence globale" et certains, dont je suis, l'ont proposée au moment des débats préparatoires à la loi HADOPI. Puisque le coût de distribution d'un fichier numérique sur un réseau électronique est nul (en deçà du seuil de saturation du réseau), le prix efficace de la mise à disposition de ce fichier est nul  et on ne peut donc plus récolter la valeur de ce côté, afin de la redistribuer aux artistes, aux producteurs et aux éditeurs. Où est passée la valeur à l'ère numérique ? Réponse : dans l'accès ! Les consommateurs sont prêts à payer un droit d'entrée pour pénétrer dans le vaste parc d'attractions numériques que constitue pour eux Internet : ils payent déjà, sans protester le moins du monde, leur forfait d'accès à Internet, fixe ou mobile ; ils accepteraient, sans broncher davantage, de payer un supplément d'abonnement mensuel, traduisez le montant de la licence globale, afin d'ensuite pouvoir bénéficier librement de tous les contenus présents dans le parc numérique. À Disney, les tours de manèges sont "gratuits", mais l'entrée est payante, et même fortement payante. Tel est le bon modèle tarifaire, lorsque les coûts variables en fonction des quantités sont devenus complètement négligeables au regard des coûts "fixes", c'est-à-dire ceux qui doivent être consentis de toute manière, quel que soit le volume de la consommation et avant même que la première unité a été fournie ou distribuée.

N'en déplaise au gestionnaire de la plateforme Qobuz, mon plus vif contradicteur sur le plateau, le coût de création d'un master musical, un coût dont je ne conteste évidemment, ni l'existence ni l'importance, est un coût fixe et non pas un coût variable, qui doit donc être rémunéré par abonnement. J'ai d'autant moins compris l'agressivité de mon interlocuteur que sa plate forme propose précisément du streaming à l'abonnement. S'il m'avait laissé parler, plutôt que vouloir dénoncer les prétendues "horreurs" sortant de la bouche d'un "ignare", il aurait entendu que j'étais son ami et pas son ennemi, que des plateformes comme Qobuz ou Deezer représentent à mes yeux une alternative efficace et souhaitable à la licence globale. Car l'essentiel n'est-il pas que s'impose le plus rapidement possible le bon modèle économique ? Peu importe que l'initiative d'instaurer ce modèle soit publique ou privée !

Je m'avoue aujourd'hui un peu découragé par mes échecs pédagogiques répétés, dans mes tentatives de faire comprendre les lois fondamentales de l'économie numérique. Etrangement, le tollé que le simple énoncé de ces lois ne manque jamais de susciter auprès des acteurs des industries culturelles a le don de me surprendre encore. Mais pourquoi diable m'étonner, alors que c'est écrit dans la chanson ? "Il a dit la vérité, il faudra l'exécuter !" En son temps, Socrate l'a appris à ses dépens et, chose assez peu connue, juste avant de boire la ciguë, il a très clairement "vu" l'économie numérique, ainsi que l'atteste cet inédit dialogue maïeutique...

Lire ici le dialogue socratique


16 octobre 2013. Journée d'hommages à Claude Dumézil

Au cours de la journée d’hommages au psychanalyste Claude Dumézil (mon oncle), organisée le 12 octobre 2013 à l’initiative de son confrère Bernard Brémond, se sont succédé des témoignages émouvants, des tables rondes stimulantes. Claude Dumézil n’a pas laissé indifférent. Il a laissé des traces de son passage, un sillage de sa « ligne d’erre », dans les trois registres qui, selon lui, font un psychanalyste : la pratique clinique, l’engagement institutionnel et l’œuvre intellectuelle. Voici, livrées en vrac, quelques traces de sa trace, quelques bribes d’un jour de mémoire mémorable.

Du « statut » de la psychanalyse…

Malgré un vocabulaire qui pourrait prêter à confusion (clinique, cure, patient, etc.), la psychanalyse n’est pas une thérapie, bien qu’elle induise le plus généralement des effets thérapeutiques. La psychanalyse n’est pas non plus une science, en dépit des abondants écrits des psychanalystes et de leurs constantes tentatives de théorisation. La psychanalyse est de l’ordre du Canada Dry : ni science, ni thérapie, mais avec le goût de l’une et de l’autre. L’écart réside dans la nature de « l’expérience » sous-jacente : une expérience contrôlée et reproductible, du côté de la médecine et de la science ; une expérience imprédictible et singulière, du côté de la psychanalyse. Si la psychanalyse était un savoir, alors ce serait un « savoir sur le truc », selon le mot de Lacan qui, si souvent, illustre le truc dont il parle par le truchement de ce truc lui-même !

… et de sa transmission

Comment transmettre ce qui n’a pas statut de savoir organisé ? Comment former un psychanalyste ? Comment, surtout, garantir qu’un aspirant est devenu un « vrai » psychanalyste, « digne » de la confiance de ses futurs patients ? Un psychanalyste le devient au travers d’une « psychanalyse didactique », à l’issue de laquelle il a quitté la place d’analysant et se juge en capacité d’occuper à son tour celle d’analyste. La procédure dite de « la passe », proposée par Lacan en 1967, dispose que l’analysant, « ne s’autorisant que de lui-même » et au moment de son choix, sélectionne sur une liste deux « passeurs » (eux-mêmes des analysants « agréés » par leur analyste en vue d’exercer cette fonction) ; passeurs qui, auprès d’un jury, témoigneront, pour le compte du passant, de ce qu’il en est de son analyse. Le jury décidera alors de « nommer » (ou non) le passant, Analyste de l’École (AE).

De la passe : procédure et processus

La procédure de la passe fut l’enjeu de vifs débats, et elle l’est encore. Après une dizaine d’années de recul, en 1978, Lacan lui-même a publiquement déclaré : « La passe est un échec ». Un échec ? Sans doute, si on la met en regard de l’objectif que Lacan semble lui avoir initialement assigné : non pas seulement transmettre la psychanalyse, mais encore valider avec une certitude « quasi-scientifique » l’achèvement de la formation d’un psychanalyste. Si la passe n’est pas, et ne peut pas être, cette validation « absolue », cette « labellisation », il reste qu’elle renvoie au processus psychique qui produit l’analyste : en tant que processus, la passe est le passage au public d’une vérité particulière. Or est-il nécessaire, pour faire franchir ce passage, de mettre en place une procédure formelle ? Ne pourrait-on envisager, avec Jeanne Lafont, la « passe sauvage », où l’analysant ne s’autoriserait que de lui-même, et seulement de lui-même, autrement dit sans les « quelques autres » que sont les passeurs et les membres du jury ; de lui-même, avec pour seul point d’appui et pour seule ligne de mire, la référence floue de la « nébuleuse » psychanalytique, évoquée par Jacques-Alain Miller ?

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6 octobre 2013. Le passant du "sens-sous psy"

Samedi prochain, j'interviens lors de la journée d'hommages au psychanalyste Claude Dumézil, mon oncle. Voici le texte de mon témoignage. Lire ici tout le texte

Claude Dumézil, en passant, m’invite aujourd’hui à me faire passer, ou presque, pour qui je ne suis pas : me voici fait, par son entremise, faux psychanalyste parmi les vrais que vous êtes. Et pourtant, n’ai-je pas l’allure d’un vrai lacanien, moi qui, en passant par ici, ne « m’autorise que de moi-même »… et des quelques autres ici rassemblés ? Claude n’est dans cette salle, ni mon sujet ni mon objet, il est mon metteur en scène. Je suis son interprète éphémère, medium inspiré par l’affection que nous nous portions. Mon petit discours n’est ainsi qu’une fiction. Soyez certains, pourtant, qu’il n’a rien d’un semblant ! Un semblant ? Pas davantage, me semble-t-il, que le dernier questionnement soumis par Claude à notre attention : « Et si la passe [1] n’existait pas ? ». Comptez sur l’économiste que je demeure, sous mon déguisement d’un jour, pour vous apporter la preuve qu’on ne peut faire « l’économie » de la passe ; ni, encore moins, la passer sous silence ; ni, pire encore, s’en passer !

Dans son interrogation, aussi provocatrice qu’elle puisse paraître, Claude Dumézil est loin de démontrer le même pessimisme que Jacques Lacan, lorsque ce dernier déclara publiquement : « La passe est un échec », à peine plus d’une décennie après l’avoir créée. Selon Lacan, la passe existerait donc bel et bien et elle ne serait qu’une « impasse » ? Haut et fort, Dumézil refuse cette « imposture ». Pour lui, il n’est en rien question d’un échec, bien au contraire : « Et si la passe n’existait pas… alors il faudrait l’inventer ! » Tel est à l’évidence le sens que nous nous devons de donner à l’ultime message de Claude qui, avec l’initiateur de cette sympathique réunion, Bernard Brémond, inventa « l’invention du psychanalyste ». Inventer la passe, la réinventer en permanence, l’inventer collectivement au travers du partage d’expériences, n’est autre que l’objet central de la construction originale instituée par Claude en tant que dispositif instituant : le « trait du cas ».

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[1] La passe désigne en psychanalyse une méthode proposée par Lacan pour la formation des nouveaux analystes. La méthode proposée se voulait une sorte d’aide à la transmission du désir psychanalytique, d’où la désignation de passe. Autrement dit, la passe serait pour l’analysant une nouvelle forme de lien transférentiel à la fin de son analyse, cette fois avec l’École et la cause psychanalytique (extrait de Wikipédia).
25 septembre 2013. Le numérique dans nos vies

Billet reprenant le contenu d'une brève interview accordée le 23 septembre à Céline von der Weid, sur la révolution numérique et ses impacts.

1/ Pour vous, qu’est-ce que la révolution numérique ?

Pour l’économiste que je suis, la révolution numérique apparaît d’emblée comme la troisième révolution industrielle des temps modernes. Rappelons qu’une première révolution industrielle, née à la fin du 18ème siècle, suite à l’invention de la machine à vapeur, a transformé les domaines de la mécanique et de la chimie ; puis qu’une seconde révolution industrielle, née à la fin du 19ème siècle, a démultiplié les effets de la première en utilisant de nouvelles sources d’énergie, l’électricité et le pétrole. Le train, l’automobile, l’avion ou la fusée sont les fruits emblématiques de ces deux révolutions. Enfin, une troisième révolution, dite numérique, est née à la fin du 20ème siècle, qui s’appuie sur une nouvelle grappe technologique associant les télécommunications, la micro-électronique et le logiciel. Internet incarne aujourd’hui cette révolution.

Cette perspective en termes de cycles technico-économiques est très utile, notamment pour analyser les crises d’adaptation qui marquent la transition d’un système sociotechnique déclinant à un système sociotechnique montant. Nous traversons actuellement une telle crise. Mais, si l’on s’en tenait à cette première approche, on manquerait la dimension fondamentale de la révolution numérique ! Pourquoi ?

Alors que les deux premières révolutions industrielles ont produit des outils, des prothèses de la main, la révolution numérique a produit Internet, c’est-à-dire un écosystème cognitif, une sorte de prothèse ubiquitaire du cerveau. Avec la révolution numérique, on s’extrait de la « technosphère », ou sphère de la technique, pour plonger dans la « noosphère » ou sphère de l’esprit. L’invention d’Internet est davantage comparable à celle de l’écriture ou de l’imprimerie qu’à celle de la machine à vapeur ou de l’électricité. Autrement dit, on ne fait pas que « se servir » d’Internet comme d’une machine qui nous serait entièrement extérieure ; on s’exprime, on pense, et donc on « est » à travers Internet qui, à ce titre, est un système englobant, un « objet global » au sens philosophique du terme !

2/ Quel est, d’après vous, l’impact du numérique sur nos vies actuelles ?

À objet global, impact global ! Il ne s’agit donc pas seulement de l’impact que pourrait produire l’usage d’un nouvel outil, mais de l’impact qu’exerce l’émergence d’un nouveau moule de cognition et de comportement ; à tel point que les digital natives n’imaginent même pas qu’un monde sans Internet ait jamais pu exister. Le social, l’économique, le politique ou l’éthique, toutes ces dimensions de l’activité humaine sont affectées par le numérique.

Voici un exemple de profonde transformation parmi bien d’autres, choisi, pas tout à fait au hasard (!), dans le registre économique. Le numérique a bouleversé la structure des coûts et des utilités. Le coût d’un service numérique est un coût fixe, indépendant du volume d’information, car le coût variable de traiter un mégabit supplémentaire sur un réseau de communication électronique est négligeable, une fois ce réseau installé ; de même, l’utilité d’un service numérique est fixe, car l’utilisateur est très peu sensible au nombre des unités qu’il consomme effectivement, seule important pour lui la faculté d’accéder au service d’une manière « illimitée ». Dans une telle économie numérique, une économie « d’abondance » où l’utilité et le coût sont plats, le prix doit également être plat, c’est-à-dire forfaitaire : on ne doit plus payer les joyaux numériques à l’unité, simplement s’acquitter d’un droit d’accès à la caverne merveilleuse d’Ali le Numérique.

Cette évidence technico-économique est vécue comme une « catastrophe » par les majors de la musique et du cinéma, dont le modèle d’affaires était jusqu’ici basé sur une rémunération à l’unité : aux yeux de ces « dinosaures » de l’ère pré-numérique, Internet n’est donc qu’une météorite tueuse, une diabolique machine de destruction de la valeur, une mer dangereuse infestée de pirates ! Puisse Darwin leur ouvrir des yeux, car une adaptation aux mutations de l’environnement est possible : l’adoption d’une licence globale pour les contenus protégés sur Internet permettrait à la fois la rémunération de la création artistique et une diffusion universelle des contenus !

3/ Quel sera l’impact du numérique sur nos vies d’ici cinq ans ?

C’est au-delà de cet horizon que la question devient vraiment ouverte et donc passionnante ! En effet, dans les cinq prochaines années, nous ne ferons vraisemblablement qu’assister à l’achèvement de processus qui sont déjà en cours ou en germe. Quelques exemples :

  • l’essor des usages data sur smartphones et tablettes, avec des débits d’information voisins de 100 Mb/s, qui rattraperont donc ceux de l’internet fixe ;

  • la généralisation de l’i-cloud, c’est-à-dire le déport dans des serveurs du réseau d’importantes bases de données, ainsi rendues accessibles de manière ubiquitaire et synchronisée ;

  • le e-payment à partir d’un téléphone mobile, le téléphone devenant la nouvelle carte de crédit ;

  • la télévision connectée à internet et donc l’estompement progressif des frontières, au sein d’un continent qui s’étend de l’audiovisuel linéaire traditionnel au partage de vidéos sur internet, en passant par la VOD ;

  • et, surtout, le développement de l’internet des objets, la voiture ou le réfrigérateur devenant à leur tour des terminaux internet, donc animés d’une certaine intelligence, connectée à celle des internautes humains !

Et au-delà de cinq ans ? Gageons qu’après le quasi-achèvement de la convergence entre télécommunications, informatique et audiovisuel, une autre convergence aujourd’hui balbutiante, celle entre technologies de l’information, biotechnologies et nanotechnologies, aura commencé de produire ses premiers effets. L’internet des objets franchira la frontière de la peau et le corps humain deviendra ainsi piratable ! On comprend qu’une « digicologie », ou éthique du Développement Digital Durable (D.D.D.), sera alors devenue une impérieuse nécessité…


25 septembre 2013. Vivre dans une ville vivante

En guise de billet du jour, la matière d'une interview accordée le 23 septembre à Céline von der Weid sur la ville de demain...

1/ Quels sont pour vous les axes de recherche et d’innovation actuels les plus porteurs pour la ville de demain dans le domaine du numérique ?

Le numérique pénètre la ville selon deux axes complémentaires et de directions opposées.

  • D’une part, un axe top-down, consistant à utiliser les technologies numériques afin d’optimiser d’une manière coordonnée la mobilité, l’habitat, l’environnement, ainsi que l’ensemble des réseaux et services urbains ; optimiser, c’est-à-dire rendre la ville plus sobre en énergie, moins émettrice de gaz à effet de serre. Cette démarche est top-down car l’objectif peut en être prédéfini par un « planificateur bénévolent » et les stratégies de mise en œuvre peuvent être, dans une certaine mesure, programmées.

  • D’autre part, un axe bottom-up, consistant à placer les technologies numériques entre les mains de leurs utilisateurs urbains, afin que ceux-ci inventent et développent par eux-mêmes les usages et les services correspondant le mieux à leurs besoins, en temps réel et de façon adaptative et dynamique. Cette démarche est bottom-up car elle émane de la base, de la foule. Elle est par ailleurs créative, imprédictible et donc non planifiable.

2/ Pour vous, qu’est-ce qu’une ville vivante et en quoi ces diverse solutions développées aujourd’hui peuvent-elles la favoriser ?

La transition est aisée ! Pour moi, une ville vivante est une ville située à la croisée des deux axes top-down et du bottom-up, à la fois une ville « responsable », qui s’inscrit délibérément dans les exigences du développement durable ; et une ville « audacieuse », qui ouvre la porte à l’invention collective. En voici deux illustrations, choisies dans chacun des deux registres.

  • Dans le registre « ville responsable », les habitants d’une moyenne agglomération envisagent la valorisation de la biomasse créée sur leur commune, examinent les modalités de traitement des boues d’épuration. Ils débattent puis décident ensemble, selon une procédure de démocratie participative locale, assistée par des outils de communication en ligne.

  • Dans le registre « ville audacieuse », les handicapés d’une grande métropole créent une application géolocalisée pour smartphone, dont la base de données est mise à jour en permanence par les membres mêmes de la communauté ; cette application signale à chacun, selon sa position, la présence d’obstacles nouveaux et imprévus dans la ville.

Dans ces deux exemples, on remarque que l’innovation se situe davantage dans l’initiative sociale que dans la performance technologique. La ville vivante, la ville « intelligente », naît ici d’un alliage entre : d’un côté, des outils numériques très simples, déjà disponibles ; de l’autre côté, des projets humains originaux, fortement novateurs.

3/ Trois adjectifs pour définir une ville vivante.

Imaginant qu’elle soit un objet mathématique, une ville vivante doit être « distributive », « associative » et « réflexive ».

  • Distributive, au sens où elle doit tirer le meilleur parti d’une intelligence distribuée entre une multitude d’acteurs, opérateurs de réseaux, entreprises de services, planificateurs urbains, équipes municipale et, bien entendu, citoyens.

  • Associative, au sens où elle doit renforcer le lien social, développer la solidarité, encourager la coopération, effacer les ghettos, rallumer les quartiers éteints, revivifier les cœurs de cité. Bridging et linking sont ici les vertus cardinales !

  • Réflexive, au sens donné à ce terme par le sociologue Pierre Bourdieu : la gouvernance de la ville, elle-même un système distribué, doit se retourner sur elle-même et remettre constamment en question son cadre d’analyse, ses objectifs, ses procédures, ses stratégies, voire même sa structure, afin de mieux anticiper les conséquences induites par les mutations urbaines et se mettre ainsi en capacité d’orienter ces mutations en pleine conscience.

9 septembre 2013. Reflexive regulation

Le papier que je dois présenter vendredi prochain à la "Florence School of Regulation" sur le thème "Reflexive Regulation" est enfin prêt ! Il m'aura donné quelque fil à retordre cet été, ne serait-ce que pour découvrir ce que pouvait bien signifier l'intitulé du thème ! Je crois que j'ai fini par comprendre et j'ai donc rédigé ma contribution en pratiquant, tel Pierre Bourdieu, la réflexivité sur moi-même ! Ci dessous, introduction en clair avec un lien vers le texte complet.

Lire ici la totalité du texte

Introduction: a Magritte-like non academic paper

Were this contribution a painting and were the author named René Magritte, the title would likely be: “This is not an academic paper”. Magritte was an expert in demonstrating the shift between an object and its representation, in showing the “strange” outcomes produced by the action of the painter’s thought onto “ordinary” objects, thus making strange become ordinary and vice-versa. When I accepted to participate in this workshop, everything looked ordinary in the academic reality: a scholar was invited by his peers to deliver a paper about the economics of regulation. However, the first sign of “strangeness” appeared when I realized with panic that I could not even understand the very issue addressed in the workshop: the expression “reflexive regulation” sounded just as Chinese to my ears. So I had to learn basic Chinese in the first place, which I did. After having read some scientific literature about reflexivity, governance and regulation, I discovered with surprise that, before knowing, I already was an ardent promoter of reflexivity in regulatory practice: in the Magritte’s universe, I very well knew what a “pipe” is but I just gave it some other names, making it look as “not a pipe”!

Then, since reflexivity was at stake, I decided to build-up the present paper as a meta-exercise of reflexivity, i.e. as an essay about reflexivity the structure of which would itself be reflexive. Consequently, my contribution is made-up as a mimic of Magritte’s masterpiece “Not to be reproduced” (La reproduction interdite), in which a man, seen from the back, faces a mirror which reflects his back instead of his face.

 

Who is the person really concerned with the virtual image given by the mirror? Either she is the character represented in the painting and then the mirrored image should show her face; or she is an external observer seeing the back of the character from the outside and then the mirrored image – to be “true” – should itself show a back! Assuming that I am the character in the picture and that you, reader, are the observer, you will see twice my “back” in this paper!

  • My academic “back” appears in section 1, consisting in a brief review of my very recent insight into the scientific conceptualization of reflexivity, as developed by sociologists and political scientists who applied it to governance and regulation in the background of sustainable development issues.

  • My regulatory “back” is displayed in section 3, giving an echo of the time when I was still a regulator and tried to investigate, in the “naïve” terms of a practitioner, which directions should take “modern” regulation in the field of electronic communications. To that purpose, I used physical or biological metaphors that “reinvented” in a way the concept of reflexivity, while not knowing they did.

  • The "mirror" which sends "back to back" regulatory practice and reflexivity theory is erected in the intermediary section 2. This mirrror's silvering is nothing but "digital revolution", which – I claim – does constitute a vey powerful engine of societal transformation in the 21st century, as important as (and also part of) sustainable development, thus loudly calling (shouting?) for the need of reflexive governance.

Just as one’s eyes should be free to move from one part to another of a Magritte’s painting, in the same way sections 1, 2 and 3, namely the “scientific knowledge”, the “mirror of digital revolution” and the “practitioner’s intuition”, may be read in an arbitrary order. Each piece of the patchwork makes sense by itself, while a meta-message is (maybe) delivered by the whole. In other words, this text is definitely not an academic paper: it is a triptych made of three sub-papers in each of which speaks a different “expert”, or rather the same expert considered at different moments. As for the “artist”, if any, he leaves the reader discover by himself the meta-message(s) hidden behind the global work… A first clue is that, in the manner of “Not to be reproduced”, science and intuition “back” each other as much as they “face” each other. A second hint will be suggested in the conclusive remarks, when referring to Socratic irony.

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