Janvier-Février 2014
27 février 2014. D-Day !
Ca y est, la conférence "Le numérique dans nos vies", c'est pour ce soir 19h 30 ! Sur Twitter, le hashtag #FavergesNum a été créé pour l'occasion... Wish be good luck ! Et pour ceux qui ne pourront se déplacer jusqu'à la Soierie de Faverges, voici le powerpoint, en avant-première.
17 février 2014. Faverges numérique
J - 10 ! A l'approche de la conférence "Le numérique dans nos vies", une interview électronique sur le site de la mairie de Faverges et un petit article d'annonce signé Marité Martinet dans le Dauphiné Libéré (édition d'Annecy-Rumilly du 26-02-2014, p. 14) :
5 février 2014. Quiz numérique
A trois semaines de ma conférence "Le numérique dans nos vies", à la soierie de Faverges le 27 février à 19H 30, voici, en apéritif, un petit quiz numérique en 23 énigmes, à consommer sans modération ! Saurez vous reconnaître sans erreur les personnes et les objets ? A vous de jouer ! Le quiz est également publié en feuilleton quotidien ... sur Faverges Actu, la page Facebook de la mairie de Faverges.
13 janvier 2014. Ville de demain
A l'invite de Carlos Moreno, une interview sur la ville de demain : l'axe bottom-up doit y rencontrer l'axe top-down, la ville doit être à la fois distributive, associative et réflexive !
9 janvier 2014. Faverges en action !
En vue de ma conférence du 27 Février, "Le numérique dans nos vies", publication d'une interview dans le journal municipal de Faverges : "Faverges en action !"
6 janvier 2014. Le temps : suite...
Plusieurs lecteurs de mon essai sur la "vitesse d'écoulement du temps" (voir billet du 4 janvier) m'ont fait une très utile remarque : dans le prologue et dans l'épilogue, l'adage décrivant une jeunesse aux courtes journées et aux longues années, suivie d'une vieillesse aux longues journées et aux courtes années, semblait être présenté à tort comme une vérité universelle, ce qu'il n'est évidemment pas. Le corps de l'essai s'efforce précisément de démontrer, à l'aide d'une modélisation mathématique, que bien d'autres déformations du temps sont possibles, notamment celle où des "jeunes", lamentablement oisifs, traînent de longues journées dans de bien maigres années ; et celle où des "vieux", remarquablement actifs, comptent de belles et riches années faites de courtes journées !
Voici donc ici une version revue et corrigée !
4 janvier 2014. La vitesse du temps
Bonne et heureuse année 2014 à tous les visiteurs du site !
Pour se remettre en train, après les fêtes, et pour danser joyeusement la ronde endiablée des années, voici un petit traité scientifique (d'une cinquantaine de pages) au titre alléchant :
A quelle vitesse s'écoule le temps ?
Les lecteurs pressés et/ou peu amateurs de mathématiques, trouveront ci-après le prologue et l'épilogue de mon mémoire, en forme de billet du jour !
"Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, alors je ne sais plus". Saint-Augustin
PROLOGUE
Dans mes jeunes années, j’ai occupé un poste de répétiteur de mathématiques à l’École nationale d’administration. C’est là une position à peu près aussi prestigieuse, enviable et valorisante que celle de conférencier en droit constitutionnel à l’École Polytechnique ! À l’ignorance crasse des élèves, s’ajoutait agréablement leur profond désintérêt pour la matière, doublé, pour ne rien gâcher, d’un arrogant mépris : « Mais enfin, Monsieur, à quoi tout cela sert-il ? ».
Afin de soulager quelque peu mon calvaire, à moins que ce ne fût par pur esprit de vengeance, il m’arrivait de soumettre à mes étudiants quelque question plaisante, qu’ils ne manquaient jamais bien-sûr de prendre au sérieux, craignant une incidence fâcheuse sur leur évaluation. Parmi mes questionnements favoris, celui-ci figurait en bonne place :
"À quelle vitesse s’écoule le temps ?"
Ignorant moi-même la réponse, je me plaisais à imaginer l’improbable, à rêver qu’une fulgurance un jour jaillisse d’un de ces puissants cerveaux de la future élite de la Nation. Je dois reconnaître que, sur cet aspect au moins, je ne fus point trop déçu : j’obtins nombre de retours stimulants, chacun à sa manière. Voici un florilège.
– La vitesse du temps est nulle car, à l’évidence, il ne s’écoule pas : dans quel réceptacle se déverserait-il ?
– Le temps s’écoule à une vitesse infinie, puisque l’instant présent n’est pas sitôt apparu qu’il a déjà disparu.
– Le temps s’écoule à la vitesse unité : une seconde par seconde, une minute par minute, une heure par heure, un jour par jour, un mois par mois, un an par an, etc.
– Le temps s’écoule à la vitesse d’un « vingt-quatrième de tour de la terre autour son axe » par heure… à moins que ce ne soit l’inverse.
– Le temps est fixe et c’est l’espace qui traverse le temps ; mais plus ou moins vite, selon que l’on est à pied ou en TGV.
– La vitesse du temps est variable : lente quand je m’ennuie ou quand je suis dans l’attente, rapide quand je m’amuse ou quand je suis occupé.
– Je me suis renseigné : cette question n’est pas au programme de l’ENA. Je n’ai donc pas à y répondre.
Pour m’être par trop laissé aller à ce genre de fantaisie coupable et suite à la véhémente protestation d’un groupe élèves, au motif de l’incompétence notoire de l’enseignant, mon contrat avec l’École n’a pas été renouvelé. Habité par d’autres préoccupations, avec le temps j’ai fini par « oublier » à quel point la vitesse de celui-ci est incertaine, voire indéterminée… jusqu’à ce que l’adage suivant, récemment lu par hasard dans un almanach, ne vienne subitement me rafraîchir la mémoire :
"Quand on est jeune, les journées sont courtes et les années sont longues. Quand on est vieux, les journées sont longues et les années sont courtes."
D’emblée, ma vieillesse débutante me convainquit de la profonde véracité de la formule qui, malgré moi, s’incrusta dans mon esprit. Elle y trotta dès lors sans relâche, priant avec insistance que j’élucide son contenu paradoxal. Comment une somme de journées courtes pourrait-elle, en effet, composer une année longue et vice-versa ? Me rappelant finalement la contribution majeure (citée plus haut en avant-dernière position) d’un de mes anciens anti-disciples (aujourd’hui tous devenus préfets, hauts fonctionnaires ou ministres), il me sembla que la reformulation suivante, en éliminant la tournure paradoxale, délivre le même message avec moins d’élégance mais davantage de clarté :
"Quand on est jeune, les journées sont rapides et les années sont pleines. Quand on est vieux, les journées sont lentes et les années sont vides."
Sous cette forme, l’adage énonce tout simplement qu’un flux intense (des journées rapides) engendre un stock important (des années pleines) ; tandis qu’un maigre flux (des journées lentes) n’engendre qu’un faible stock (des années vides). Mais de quel flux et de quel stock s’agit-il ? D’un flux et d’un stock d’expérience, de connaissance. Un jeune expérimente et apprend beaucoup quotidiennement, ses journées sont un terrain permanent d’exploration et lui semblent ainsi toujours trop courtes ; alors que ses années, riches d’acquisitions nombreuses, lui paraissent durer une éternité. À l’autre extrême, un « vieux » ne fait plus guère d’expérience nouvelle, ses journées sombrent dans une routine répétitive et elles tirent en longueur ; quant à ses années, pauvres en contenu accumulé, elles lui paraissent, à leur terme, n’avoir duré qu’un seul instant.
Ainsi décortiqué, notre adage révèle également que la vie terrestre éternelle n’est réellement désirable qu’à la condition de ne pas vieillir : à quoi bon l’éternité, si les années y deviennent de plus en plus courtes et les journées de plus en plus longues ? Woody Allen ne saurait mieux dire : « L’éternité, c’est long… surtout vers la fin ! ».
Ces réflexions sur la perception subjective du temps sont en réalité plus sérieuses qu’il n’y paraît et les sciences humaines ne s’y trompent pas : ainsi un économiste rend-il compte de la préférence des décideurs pour le présent à l’aide d’un modèle d’actualisation qui « déforme » le temps, en « rapprochant le futur » ; ou un analyste du progrès technique évoque-t-il « l’accélération du temps » produite par l’essor d’une nouvelle technologie ; ou encore, un historien de la longue durée analyse-t-il la temporalité propre d’une civilisation qui, de sa naissance à son déclin, connaît des phases d’inégales durées pour une égale importance culturelle et sociale.
Espérant en apprendre plus et détenir enfin le trousseau des clefs du temps, j’ai souhaité rencontrer le meilleur et le plus fameux des experts en la matière. C’est ainsi que, sous mon pseudonyme anagrammatique Caruso Celinni, je me suis rendu incognito jusqu’à l’Olympe, afin de rendre visite au Dieu Chronos. Ce dernier demeure à l’écart du jardin des Dieux, au tréfonds d’une grotte abritée des rayons du soleil. Il vit et travaille là en reclus, au côté de son épouse Anankè, évitant avec soin la compagnie des mortels et des autres Dieux. Sa double réputation de misothéisme et de misanthropie est légendaire et force est de reconnaître qu’elle m’a fait un peu hésiter. Mais Caruso m’a chaudement encouragé et, après tout, qui ne tente rien n’a rien !
– Je te salue, Ô puissant Chronos !
– Que me veux-tu, présomptueux étranger ?
– Que tu m’instruises des mystères du temps, toi qui, assurément, en es le maître incontesté !
– Et que veux-tu savoir ?
– Rien n’est plus simple : quel jour sommes-nous et quelle heure est-il ?
– Est-ce donc mon courroux que tu es ici venu chercher ? Il y a grave méprise sur la personne ! Moi, je suis un Dieu, je construis le temps, je le fabrique. Ce sont les mortels de ton espèce, et non pas Moi, qui se chargent de publier des dates et des calendriers. C’est là un métier de comptable, qui n’est en rien mon affaire ! As-tu une autre question ?
– Oui ! Depuis combien de temps avons-nous entamé ce constructif dialogue ?
– Depuis exactement cinq chronons et sois certain que d’ici cinq autres chronons, et pas un de plus, tu auras quitté céans ! Une dernière question ?
– Euh oui… pourquoi te terres-tu ainsi dans l’obscurité, au fond ce de trou ?
– N’est-ce donc point évident ? Figure-toi que je n’entends pas courir le risque d’être influencé par la course d’Hélios ! Car c’est au soleil de régler son mouvement sur mon Temps, et non pas à moi de régler mon Temps sur son mouvement ! Me suis-je bien fait comprendre ?
– On ne peut plus nettement ! Mais voici que s’approche ton épouse, la divine Anankè, déesse de la Destinée. Puis-je lui poser une ultime question ?
– Je suis vraiment désolée, aimable étranger, mais ni toi ni moi ne saurions contrer la volonté de Chronos ! Or cent nankins se sont écoulés entre le moment de ton arrivée et celui où mon Seigneur et Maître t’a signifié ton prochain départ ; et cent autres nankins se sont encore écoulés depuis. Tu dois donc, hélas, prendre congé sur le champ !
– Aux Dieux donc, accueillants et nobles amis, et presque sans rancune ! Mais ôtez-moi tout de même d’un affreux doute : est-ce bien exact, ne suis-je pas dans l’erreur, compte-t-on bien vingt nankins dans un chronon ?
– Pour ta gouverne, Anankè et moi créons le Temps ensemble et, même si chacun de nous utilise son propre système d’unités, nous sommes parfaitement synchrones, ainsi que tu sembles l’avoir correctement remarqué. C’est sur notre Temps que les astres du ciel calent le leur. L’heure solaire, par exemple, comprend approximativement 223,763 chronons ou 4475,26 nankins. Mais le Soleil et la Terre ont parfois la tremblote et les cadrans que vous utilisez en guise d’horloges ont également leurs caprices ; on ne peut véritablement se fier à eux. Quant à vous, les Mortels, vous êtes pis encore que tous les corps célestes réunis ! Vous déformez le temps à l’envi, au gré versatile de votre subjectivité. Et si tel est, comme je le crois deviner, le sujet qui retient ton attention en particulier, alors consacre-lui un mémoire et ne manque pas de me l’adresser. Je le lirai et veillerai sans faute à te répondre… à mes chronons perdus ! Et maintenant, allez ouste, tu ne tardes que trop !
Sitôt redescendu de l’Olympe, j’ai suivi le conseil de Chronos et me suis mis au travail. Après plusieurs semaines d’un âpre labeur, voici le fruit de mes cogitations : un essai mathématique sur les propriétés du temps subjectif. Au fil de mon grimoire, cher lecteur, tu croiseras Euclide, Newton, Euler, Lagrange, Maupertuis, Huygens ou encore Neper, Hamilton, Legendre, Boltzmann, Dirac et Shannon. Pour ne commettre aucun impair en présence d’aussi prestigieux personnages, un niveau « maths sup » est très bienvenu de ta part, voire même recommandé ! Révise notamment la notion d’espace affine et celle de morphisme, car une déformation du temps n’est rien d’autre qu’un morphisme, appliquant une droite affine, celle du temps objectif, sur une autre droite affine, celle du temps subjectif !
Ne t’inquiète pas, toutefois : tu seras guidé pas à pas. Après une première partie consacrée à l’exposé des définitions et concepts, tu te familiariseras dans la deuxième avec une classe de morphismes particulière mais importante, celle des morphismes « homogènes ». Enfin, dans la troisième partie, trois approches du temps subjectif te seront successivement présentées :
– l’approche morphologique, qui vient d’être évoquée, dans laquelle le temps subjectif apparaît comme une déformation géométrique du temps objectif ;
– l’approche dynamique, dans laquelle le temps subjectif est analysé comme la trajectoire d’une particule fictive, le « chronon », se mouvant dans le temps objectif ;
– l’approche statistique, enfin, où le temps subjectif est vu comme la densité d’une mesure, définie sur la droite du temps objectif.
Ces trois approches, à l’aide desquelles nous réinterpréterons dans l’épilogue l’adage de la jeunesse et de la vieillesse, sont en réalité trois chemins parallèles… qui convergent ainsi à l’infini vers un modèle unifié, vers « Le » modèle, celui qui, une trentaine d’années plus tard, apporte enfin réponse à ce redoutable « pont aux énarques » : à quelle vitesse s’écoule le temps ?
Un dernier avertissement avant lecture. Je me dois loyalement de t’avertir, toi amateur de science fiction : tu seras en partie déçu. Car si, dans mon essai le temps certes se courbe, il ne s’y plie en revanche, ni ne s’y déchire : donc pas de vortex ni de trous de verre. Le temps ne se retourne pas non plus : donc pas de voyages dans le passé ou le futur !
En revanche, le temps peut psychologiquement s’arrêter, comme dans le Lac de Lamartine : Ô temps suspends ton vol ! Il peut aussi anéantir un segment de durée en le réduisant à un seul point, comme dans le cas d’une amnésie. Ou il peut encore se distendre indéfiniment, à la manière d’une vie entièrement revécue dans l’instant précédant une mort perçue comme imminente. Notre modélisation ne rejette aucun de ces phénomènes, elle n’exclut ainsi ni les « trous noirs », ni les « fontaines blanches », dans la galaxie du temps. On découvrira également que le temps a ses « sources » et ses « puits » et que le temps qui « passe », et non pas seulement celui qu’il « fait », possède une température !
En définitive, je viens de m’en convaincre moi-même, ce texte est presque sérieux… même si mon bouffon, Caruso, a chaudement souhaité le cosigner, sans doute sur le fondement de ses exploits olympiens (à défaut d’être olympiques) !
P.S. Ainsi que j’en étais convenu avec lui, j’ai adressé mon manuscrit à Chronos. En dépit de notre houleuse entrevue, il m’a fait une réponse étonnamment courtoise et positivement critique, dont on trouvera la teneur dans l’épilogue.
ÉPILOGUE
Au terme de cet essai, qu’avons-nous appris ? Avons-nous au moins progressé dans la compréhension de notre adage de départ ? Rappelons-le ici :
"Quand on est jeune, les journées sont courtes et les années sont longues. Quand on est vieux, les journées sont longues et les années sont courtes."
Et déclinons maintenant tour à tour nos trois approches.
(i) L’approche morphologique, tout d’abord, nous invite à pénétrer dans la nef d’une cathédrale et à y penser la vie comme un arc architectural monumental, s’élevant à partir du sol selon un profil cintré. Dans cette métaphore, la jeunesse est la partie inférieure de l’arc, qui atteint rapidement une hauteur importante pour une faible portée horizontale : comme la portée par mètre d’élévation, les journées sont courtes ; et, comme l’élévation par mètre de portée, les années sont longues. La vieillesse, au contraire, est la partie supérieure de l’arc, qui plafonne en voûte et ne s’élève donc plus que faiblement en projetant une grande portée : comme la portée par mètre d’élévation, les journées deviennent longues et, comme l’élévation par mètre de portée, les années deviennent courtes. La portée horizontale est le temps objectif, l’élévation verticale est le temps subjectif et l’adage exprime que « l’arc de vie » est croissant et concave.
(ii) L’approche dynamique, ensuite, nous expédie sur un terrain de golf. Campé sur le green à plusieurs mètres du trou, Chronos s’apprête à jouer un putt magistral. Au début de sa course, la balle, le chronon, roule rapidement sur l’herbe et franchit une distance significative en peu de temps : à ce stade, tout comme le temps nécessaire pour franchir un mètre, les journées sont courtes ; et, tout comme la distance parcourue en une seconde, les années sont longues. À l’approche du trou, la course de la balle s’est considérablement ralentie sous l’effet du frottement de l’herbe et, avant que de venir, presque immobile, chuter dans le trou, le chronon parcourt alors peu de distance en beaucoup de temps : à ce stade, les journées sont longues, tout comme le temps nécessaire au chronon pour parcourir un mètre et les années sont courtes, tout comme la distance parcourue en une seconde. Le temps subjectif est la trajectoire rectiligne de la balle sur le green et l’adage se résume à constater une décélération progressive le long de cette trajectoire.
(iii) L’approche statistique, enfin, nous conduit à regarder la vie comme un processus continu de réalisation d’expériences et d’acquisition de connaissances. Ce processus est repérable comme un flux d’évènements d’intensité décroissante, la densité d’évènements par unité de temps diminuant avec l’âge. Au cours de la jeunesse, la densité événementielle est élevée, si bien que les journées semblent « courtes » ; et ces journées, riches d’acquis, se cumulent en un fort capital expérientiel, qui fait paraître les années « longues ». Durant la vieillesse, au contraire, la densité événementielle est faible, si bien que les journées semblent « longues » ; et ces journées, pauvres d’acquis, se cumulent en un faible capital expérientiel, qui fait paraître les années « courtes ». Dans les termes de cette conceptualisation, l’adage exprime la décroissance de la densité événementielle en fonction de l’âge : il se résume en définitive à énoncer que le cumul expérientiel et cognitif d’un individu est une fonction croissante concave de son âge.
Alors, oui, de cathédrale en terrain de golf et de terrain de golf en expériences de vie, je crois que nous avons un peu progressé… Mais qu’en pensera le grand Chronos, lorsqu’il aura terminé son parcours ?
Extrait d’une correspondance entre le Dieu Chronos et le Mortel Caruso
Ô vénérable Chronos,
Comme convenu lors de notre « entrevue des dix chronons », je me permets de t’adresser en pièce jointe un modeste mémoire intitulé De la perception subjective du temps chez les mortels, élaboré par mes soins et sur ton précieux conseil. Je t’en souhaite une bonne lecture et demeure dans l’impatiente attente de tes divins commentaires
Transmets mon meilleur et fidèle souvenir à ta gracieuse épousée Anankè,
À toi bien respectueusement,
Caruso
Très zélé Caruso,
Je viens de prendre une connaissance approfondie de ton volumineux mémoire. Il m’aura fallu presque dix mille chronons pour en venir à bout. ! Je te crois assez sage pour ne pas penser avoir fait là quelque découverte fondamentale mais je te crois aussi assez vaniteux pour tirer force autosatisfaction de ton chef d’œuvre. Et c’en est un, en vérité je te l’assure, car, tel l’alpiniste de haut vol, jamais tu n’auras atteint une pareille maîtrise dans la conquête de l’inutile. Je plaisante, bien-sûr : je veux dire dans la conquête du quasi-inutile, voire même du méta-utile, si cela peut avoir le chrono[1] de moins offusquer ta susceptibilité.
Oui, je dois le confesser, tes analogies, tes métaphores, tes références constantes aux sciences physiques, m’ont bercé d’une douce méta-utilité… à tel point que je me suis assoupi et qu’Anankè a dû lors veiller seule aux affaires du temps.
Bravo, donc ! Un bémol, cependant : à propos d’utilité, justement, je m’étonne que tu aies omis de signaler, dans tes copieux développements sur le rapport entre le temps objectif et le temps subjectif, que ce rapport est en tout point semblable à celui que Von Neumann et Morgenstern établissent entre la richesse et l’utilité. Car l’utilité est très exactement à la richesse ce que le temps subjectif est au temps objectif : une déformation !
Or, vous autres les mortels, vous raffolez des déformations, vous affectionnez par-dessus tout les morphismes concaves et polarisants, que vous les nommiez actualisation ou aversion pour le risque ! Vous avez peur de l’avenir et de l’incertain ; en bref, vous avez peur de tout : peur de la technologie, peur de l’aventure, peur de la mort.
J’en souris souvent à la veillée avec ma douce Anankè, moi usinant les rouages du temps, elle tissant la tapisserie du destin. Car comment ferions-nous, nous autres, si tout comme vous, nous avions peur du temps et du hasard ? Oui, comment ferions-nous si, tout comme vous, nous préférions systématiquement la précaution à l’audace ?
Mais suis-je tombé sur la tête, ainsi qu’il arrive parfois aux Dieux ? N’est-ce point précisément pour cette raison, la peur, qu’il y aura toujours des Dieux et des Hommes, les premiers pour imaginer le meilleur des mondes impossibles, les seconds pour créer le pire des mondes possibles ?
Bien à toi et à bientôt sur l’Olympe, si le cœur t’en dit, pour dix ou quinze chronons de plus !
Anankè se joint à moi pour te souhaiter, dans ton étrange calendrier, une bonne et heureuse nouvelle annanque 2014 !
Ton coach et ami,
Chronos
Cette aimable et pertinente missive a su captiver mon attention. En effet, Chronos a doublement raison, et quant à sa réflexion philosophique sur les natures comparées des Dieux et des Mortels, et quant à son idée de rapprochement entre déformation subjective du temps et déformation subjective de la richesse ; et, ajouterai-je même, entre déformation subjective du temps et déformation subjective de « X » où X est un phénomène observable absolument quelconque, par exemple le temps ou la richesse, mais aussi la température, la brillance, l’intensité sonore, etc. Il est même possible de prendre en considération des variables X multidimensionnelles, en travaillant sur des morphismes d’espaces affines comportant plus d’une seule dimension…
En définitive, j’ai sans doute fait preuve d’une coupable modestie, et non point de l’outrageuse vanité que me prête Chronos, en intitulant mon mémoire "De la perception subjective du temps chez les Mortels". Le titre suivant eût été à la fois plus ramassé et plus exact :
« De la perception »
[1] Sur l’Olympe, le « chrono » est au « chronon » ce qu’ici-bas « l’heur » est à « l’heure ».