Novembre 2012 - Impact 4ème licence
20-11-2012. 4ème licence mobile : quel impact ?
Augustin Landier (Toulouse School of Economics) et David Thesmar (HEC, Paris) se sont livrés à un exercice rigoureux sur une question aussi sensible que délicate : l'évaluation de l'impact macroéconomique de l'attribution de la 4ème licence mobile, en France. Un sujet qui intéresse beaucoup... depuis le lancement de Free Mobile, en janvier dernier ! Toutefois, faute d'une grille d'analyse précise et cohérente, le débat a pris jusqu'ici des airs de bagarre de saloon, plus animé par la passion que dirigé par la raison. Avec l'étude de nos deux experts, voici que la raison entre en lice, enfin !
Alors, combien ? Combien d'emplois, selon eux, seront-ils perdus dans les télécoms ? Davantage que les 10 000 avancés par Président de l'ARCEP ? Moins que le chiffre apocalyptique de 60 000 emplois, émis au printemps par Bruno Deffains (Université Paris II) ? Eh bien, au risque de décevoir très fortement, les auteurs ne consacrent à cette question, si controversée, qu'une bien maigre demi-page parmi les quelque 70 que comporte leur rapport ! Ils ne nient certes pas les restructurations en cours et à venir dans le secteur des télécoms et ils semblent même accorder quelque crédit au "chiffrage de l'ARCEP" en termes de perte d'emplois ainsi provoquée, sans toutefois l'auditer. Mais alors, pourquoi de leur part ce "scotome scintillant" ? Pourquoi se montrent-ils muets sur ce qui produit tant de vacarme du côté du saloon ?
Parce que - et j'approuve entièrement leur position méthodologique - les pertes d'emploi dans les télécoms sont une conséquence des gains de productivité dans ce secteur et non pas une conséquence de l'accroissement de la concurrence. Free ne peut être tenu pour responsable des effets intra-sectoriels des gains de productivité, effets certes négatifs sur l'emploi mais qui auraient prévalu de toute manière, sous l'impulsion du progrès technologique ; sans doute un peu moins vite, il est vrai. L'impact "propre" de l'entrée de Free Mobile, c'est-à-dire ce qui est spécifiquement causé par le 4ème opérateur et n'aurait pas eu lieu sans son arrivée, est donc circonscrit aux effets externes qu'une plus forte intensité concurrentielle sur le marché mobile exerce sur le reste de l'économie. C'est ainsi, à logique et juste titre, que A.L. er D.T. cantonent leur analyse à cette seule question. Auraient-ils dû l'expliquer en page 1, plutôt qu'à un détour de la page 42 ? Je vous l'accorde bien volontiers et tel est d'ailleurs le seul reproche, de pure forme, que je saurais leur adresser !
Il n'est plus maintenant qu'à suivre le fil d'Ariane du raisonnement économique. Quels sont les effets d'une concurrence accrue dans la téléphonie mobile ? Premier effet, direct : les prix baissent sur le marché mobile, entre 10% et 20%, ce qui libère du pouvoir d'achat, soit environ 1,7 milliard par an pour 10 points de baisse tarifaire. Il en résulte un accroissement de la demande pour les autres biens et services de l'économie.
- À court terme, cet accroissement de la demande entraîne mécaniquement un accroissement de l'offre de même ampleur, sans que les prix s'ajustent. Le multiplicateur keynesien engrange alors son cycle vertueux : la production augmente, donc l'emploi augmente, donc la consommation augmente, donc la production augmente... Quantitativement, 15 000 emplois seraient ainsi créés dans l'économie, pour 10 points de baisse des prix ; et 30 000 emplois, pour 20 points de baisse.
- À plus long terme, le modèle néo-classique se révèle plus approprié que le modèle keynesien, car l'égalité entre l'offre et la demande résulte alors d'un équilibre, permis par l'ajustement des prix. Selon ce second point de vue, ce n'est plus un "choc de demande" qui entraîne l'offre et donc l'emploi ; le germe du processus repose désormais sur un "choc d'offre" : à coût du travail supposé rigide (en raison du sous-emloi), les entreprises sont incitées à embaucher davantage, car la baisse du coût de la téléphonie mobile augmente leur rentabilité. Numériquement, l'effet de long terme serait à peu près double de l'effet de court terme : 30 000 emplois pour 10 points de baisse des prix sur le marché mobile.
Bien-sûr, dans le saloon, on continuera de se battre ! Notamment grâce aux vertus pédagogiques de cette excellente étude, certains finiront certes par admettre que Free n'est peut-être pas le dangereux hors-la-loi que l'on croyait... Mais, de là à reconnaître en lui un Lucky Luke, il y aurait un désert à franchir ! Les mêmes, qui aujourd'hui conspuent Free, s'évertueront demain à démontrer que c'est à eux, et non pas à ce lonesone cow-boy, qu'il convient d'attribuer tout le mérite des créations nettes d'emplois... Et ils auront entièrement raison d'affirmer qu'ils y sont aussi pour quelque chose car, dans cette affaire, Free a d'abord et surtout été l'incontestable déclencheur d'une dynamique vertueuse... une dynamique dont tous les opérateurs du marché sont bel et bien désormais les parties prenantes. Et, comme l'explique très bien le rapport, cette dynamique n'est pas seulement favorable à l'emploi : elle est tout aussi bénéfique à l'innovation et à l'investissement.
La morale de ce billet ? L'auto-satisfaction ! Car, avec l'effet de recul, je puis affirmer que l'ancien membre de l'ARCEP que je suis ne regrette pas notre décision collégiale, prise en janvier 2010, d'attribuer la 4ème licence mobile française à la société Free Mobile. "Je ne regrette pas" et ceci est, on l'aura compris, une litote !