Novembre 2012 - Green for IT
18-11-2012. Green for IT
Le 13 novembre dernier, la réunion mensuelle de la "Commission TIC", au sein de l'Académie des technologies, était conscrée à un sujet environnemental important : comment maîtriser la consommation d'énergie des technologies de l'information et de la communication ? Mes confrères Erol Gelenbe (Imperial College), animateur du groupe de travail académique "Éco-technologies de l'information et de la communication" et Alain Pouyat (Bouygues), membre de ce groupe et expert reconnu en matière de "Processus industriels pour une informatique durable", nous ont présenté un rapport d'étape. L'ignare en la matière que je suis - que j'étais ? -, a tiré de cette stimulante séance les quelques enseignements suivants.
- Le vocable "Green IT" est bi-sémique : il signifie tout à la fois "verdir" les TIC (Green for IT) et utiliser les TIC pour "verdir" la planète (IT for Green). Si les deux sous-sujets sont certes distincts au plan logique, ils sont en revanche étroitement imbriqués et synergiques du point de vue du développement durable : mobiliser massivement les TIC pour couvrir le monde de smart grids et de smart cities ne présenterait en effet guère d'intérêt, si l'économie de ressources promise par l'avènement de cette 'intelligence" pervasive était (bêtement) effacée par une consommation induite !
- Dans les grandes entreprises, se met aujourd'hui en place une comptabilité extra-financière. De même qu'elles publient leur bilan financier, elles devront désormais montrer patte verte, en présentant leur empreinte carbone ainsi qu'une batterie d'indicateurs environnementaux, dont la performance en matière de Green IT. Des commissaires aux comptes extra-financiers attesteront la conformité et la véracité de ces déclarations.
- Bien que les chiffres varient quelque peu selon les sources, on peut retenir les ordres de grandeur suivants : la consommation électrique des TIC représente plus de 5% de la consommation électrique mondiale, dont environ 50% sont imputables aux postes de travail (ordinateurs personnels, écrans, imprimantes...), 25% aux data centers et 25% aux réseaux. Les data centers ne constituent donc pas actuellement le segment le plus energivore, mais notons que leur consommation s'est accrue de presque 60% entre 2005 et 2010, alors que le taux de croissance moyen de la consommation électrique, pour l'ensemble des TIC, s'établit à environ 4% par an.
- Le rendement énergétique des data centers est aujourd'hui très médiocre. Pour 1 kW effectivement utilisé par les machines informatiques, la consommation électrique s'élève à quelque 2 kW compte tenu de l'alimentation des "servitudes", principalement la climatisation. À technologie constante, on pourrait sans doute gagner à peu près 20% par rapport à la situation présente. D'abord, en recourant davantage à la virtualisation, c'est-à-dire au regroupement de plusieurs serveurs sur une même machine physique. Ensuite, grâce à une détection ciblée des "points chauds", les centres pourraient fonctionner à une température de 24°C, voire 30°C, au lieu des 18°C actuels, ce qui permettrait le "free cooling", mode de refroidissement qui utilise l'air extérieur. Concomitamment, la "densité énergétique", actuellement égale à 1 ou 2 kW/m2, pourrait être portée à 10 kW/m2. Par ailleurs, une alimentation en courant continu serait plus sobre. Enfin, la chaleur évacuée des salles de machine pourrait être récupérée pour le chauffage des bâtiments.
- S'agissant de la consommation des postes de travail dans les entreprises, la piste d'améliorration la plus prometteuse réside dans l'effacement aux heures de pointe. Un tel effacement peut être programmé et optimisé à l'aide d'un système d'information en temps réel, indiquant l'état d'alimentation de chacun des postes de travail d'une société.
- Quant aux effets externes positifs de l'utilisation des TIC sur la consommation énergétique de l'ensemble des activités humaines, il faut raison garder. Dans la sphère professionnelle, les téléconférences ne se sont jamais substituées aux déplacements, non pas tant parce que leur qualité était jusqu'ici modeste et leur coût relativement élevé, mais surtout parce que la communication médiatée et la communication en face à face sont des comportements relationnels complémentaires et non pas substituts. Et, dans la sphère privée, la croissance du commerce électronique de biens et services non numérisables ne diminue pas le transport de marchandises, mais l'augmente : il faut bien livrer physiquement ce qui est acheté électroniquement. Par ailleurs, au moins pour certains biens, la principale fonction du commerce électronique est l'information, davantage que l'achat : en ligne, les consommateurs se renseignent sur la qualité des produits, comparent les prix... puis ils prennent leur voiture pour effectuer et emporter leurs achats !
- D'un point de vue scientifique, la mesure de la consommation énergétique des TIC soulève des problèmes méthodologiques non triviaux, la grandeur la plus pertinente n'étant pas l'énergie elle-même, mais plutôt l'énergie rapportée à la charge de travail, donc mesurée en Watt/Flop pour une machine, en Watt/Paquet pour un réseau, etc. En effet, afin d'optimiser un processus de calcul informatique ou un protocole de gestion de trafic en prenant en compte la dimension énergétique, il faudrait en théorie être capable d'associer à un algorithme en cours d'exécution sa consommation d'énergie en temps réel....
- Il convient de se méfier des faux amis ! Ainsi, une machine au repos (ou presque) peut consommer jusqu'à 50% de son niveau de pointe, notamment en raison de l'inertie de refroidissement ; car, même si la machine ne calcule plus depuis plusieurs minutes, il est encore nécessaire d'évacuer sa chaleur. Par ailleurs, les opérations de mise en sommeil (hibernation) puis de réveil (resumption) d'une machine sont voraces en énergie : avant de s'endormir, la machine doit procéder à de multiples sauvegardes et, avant de s'éveiller, à de nombreuses restaurations ; d'où, durant ces phases, un rythe d'activité supérieur à la moyenne et, par conséquent, une sur-consommation.
- La tendance étant à la simplification des terminaux, ce sont les réseaux qui deviennent à présent le facteur le plus critique en matière de consommation énergétique. D'où l'idée de tenir compte des flux énergétiques dans les algorithmes de routage, ou encore celle de déplacer la charge de travail vers les endroits où la demande d'énergie est la moins tendue.
- Interrogés en conclusion sur une perspective réaliste d'évolution de la consommmation énergétique des TIC, nos deux rapporteurs ont formulé une réponse me semble-t-il crédible, à défaut d'être enthousiasmante : selon eux, les gains d'efficacité du green IT ne seront certainement pas suffisants pour endiguer le tsunami "Big Data" : la pente du profil de consommation restera donc strictement positive et vraisemblablement augmentera...